du 9 au 12 octobre 2014
quartier Decré, Nantes


LA GAZETTE DES LYCÉENS
Entretiens avec les auteurs
Notes de lectures
Clin d'œil (textes de création)

ENTRETIEN AVEC ANNE-LAURE PIGACHE
Par Olivia N, Camille G, Léa T, Laurine R, Solène D.

Comment avez-vous été amenée à faire des performances ? Est-ce que cela s'est imposé à vous ?
Je ne dirais pas que cela s’est imposé à moi. Disons que de fil en aiguille j’ai fait des choix par goût, désir et envie. J’ai suivi les endroits où je prenais du plaisir, ce qui m’a fait faire beaucoup de détours artistiques, un chemin parfois sinueux. Le lien entre tous ces détours a été l’improvisation sous de multiples formes. J’en ai conclu que mon terrain de jeu était la performance.
Ce que j’aime dans la performance c’est l’état de présence que cela impose.
La performance me semble-t-il c’est de se donner des règles du jeu, des règles d’exploration qu’il va falloir prendre à bras le corps, s’y jeter entièrement pour voir où cela nous mène. Le focus n’est pas uniquement sur la production qui en ressort comme dans un spectacle écrit où tous les détails d’une œuvre sont maîtrisés, mais bien sur le processus. J’aime ce rapport au lâcher prise et à la maîtrise qui est tout le temps remis en jeu. Je trouve ça très ludique, et très exigeant. On est obligé de s’y donner complètement, on n’a pas le choix. J’aime cette intensité. Il m’est arrivé de jouer dans des spectacles écrits où, au bout d’un certain nombre de représentations, nous maîtrisions tellement les éléments de la pièce que nous n’étions plus acculés à la présence et nous pouvions jouer en pensant parfois à d’autres choses. C’était assez ennuyeux.
On improvise tout le temps dans la vie. Quand on parle on improvise, quand on rencontre quelqu’un on improvise (enfin il vaut mieux, si on veut que quelque chose se passe). Improviser en performance, c’est étirer cet état de présence aux choses. Mettre le focus là-dessus.

Comment travaillez-vous vos performances ? Quelle est la part d'improvisation?
Je travaille mes outils  : la voix, le souffle, l’écoute, le mouvement. Faire une performance c’est un peu comme un match. On entraîne son corps, son endurance, sa technique, certains enchaînements, parades, réponses. On s’exerce à être poreux aux contextes qu’on traverse. Et puis au moment où ça joue, c’est à ce moment-là que ça se compose.
Pour Dyslexie (la proposition que je fais à MidiMinuitPoésie) je ne suis pas complètement en improvisation. J’ai des textes qui sont comme des «scores» ou des «partitions» sur lesquels j’applique des contraintes de lecture. J’essaye de ne pas m’installer dans des ornières où je reproduirais ce que j’ai déjà fait. Je m’astreins à respecter au plus près les règles de lecture (qui sont des règles du jeu) pour que le match soit à chaque fois différent.

Vous jouez, déformez les mots : pourriez-vous expliquer votre démarche poétique ?
Quand j’écris des textes, je parle à voix haute, je suis en flux de paroles pour pouvoir écrire. Je travaille avec les erreurs. J’écoute les sonorités d’un mot (et de sa répétition) pour voir où cela m’emmène. Je suis attentive aux images mentales que cela me procure et je tisse ces sensations. Je parle et en même temps j’écris avec le clavier de l’ordinateur et ça donne plein d’erreurs d’énonciation qui sont autant de tiroirs pour jouer et fouiller l’inconscient des mots (et pas que des mots).

Vous avez une réelle présence sur scène : comment le corps soutient-il le texte dans votre performance. Comment cela vous aide-t-il dans votre expression ?
Je travaille depuis toujours la voix dans le corps. Mon instrument c’est «la voix» mais bien sûr tout mon corps, résonateur de son et support d’imaginaire. C’est souvent par la pratique du mouvement improvisé, de la danse, que je me prépare à l’état d’improvisation voix et à l’écoute que cela requiert. Quand j’ai commencé à faire des performances, je venais du théâtre et j’étais encombrée par l’image scénique que mon corps qui vocalise pouvait renvoyer (je fais beaucoup de gestes quand je chante). Et puis à force de voir des musiciens instrumentistes sur scène, j’ai compris que j’aimais beaucoup regarder les corps des gens qui jouent et qui sont principalement concentrés sur le son qu’ils émettent et non sur ce à quoi leur attitude physique renvoie. C’est un peu comme si leur corps se «désocialisait». À force de jouer, je suis rentrée dans ce rapport-là. Mon corps, sur scène, est maintenant un support au son.

ENTRETIEN AVEC CLAUDE FAVRE
Par Pauline J, Léa H, Adèle L.

Le titre de votre recueil est A.R.N [...] qui est aussi le titre de l'un des ensembles, pourquoi un tel titre ? Quel rapport avec les autres ensembles ? Est-ce un titre pour surprendre, choquer ?
Le choix d'un titre, pour ma part, se fait au cours de l'écriture, simplement. Je pense à un titre ou deux suscités par ce que j'écris, les mots qui me reviennent souvent, et très rapidement l'un s'impose dans une logique qui m'est propre et en effet pas forcément audible d'emblée par les lecteurs. Mais je ne cherche pas à choquer, ça, ce n'est pas mon projet, le monde est assez choquant, pas besoin d'en rajouter, mais, si cela doit arriver, je l'accepte et l'assume. Dans ce cas particulier, le titre (qui est celui du premier texte) est un remerciement à un professeur de littérature à l'Université d'Amiens, Fabrice Thumerel, qui m'accueille souvent, me soutient, m'encourage sur le site de création et critiques littéraires Libr-critique très ouvert dans sa diversité, ses choix et qui a parlé pour mon travail d'agencements répétitifs névralgiques. Cette formule, par son côté et concret et abstrait, m'a permis d'éviter un titre trop poétique, trop intime, et de remercier. Le choix du titre du livre est celui de l'éditeur qui a eu un coup de cur pour ce texte. C'est une pratique assez courante, notamment pour les nouvelles, de choisir un titre d'un des textes pour l'ensemble. Donc pas de loi générale, que des cas particuliers.

Vous employez souvent la troisième personne du singulier «elle». «Elle» est-elle un «je» ? Et si oui, pourquoi ne pas employer directement le «je» ?
Le choix des pronoms personnels est crucial et n’a rien en effet d’anodin. Il est entendu que chacun parle et écrit à partir de soi et d’une mise en représentation d’un « je ». Mais dans notre perception du monde déjà sont présentes d’autres personnes. Je crois que les pronoms ne sont pas si personnels que cela, ou plutôt, pas que personnels. Écrire avec le « je » induit qu’on s’implique ; le risque - couru en poésie - étant d’oublier un peu les autres, ou de trop parler de soi. Le choix du « il/elle » met une distance – toujours judicieuse - entre celui qui écrit et le narrateur, mais peut aller jusqu’à la déresponsabilisation. Mais il ne faut pas oublier que la présence des personnes, celle qui agit, celle à qui on parle, celle dont on parle, vers qui on s’avance est active par d’autres moyens grammaticaux, stylistiques, rhétoriques. Puisqu’il faut choisir (écrire c’est beaucoup cela), j’ai décidé pour ces textes-là (je ne renonce pas au « je » ailleurs), de travailler avec le « elle », parce que si je parle de moi (vous avez remarqué que je dis « elle » et non « il »), je ne parle pas que de moi, mais des injustices du monde (répétitif, névralgique).

Vous écrivez en prose, dans des formes serrées et concentrées, pourquoi pas en vers ?
Ah ! Je n'écris ni en prose, ni en vers, mais en contrevers (avec l'idée d'aller vers, mais aussi de contrer, controverse, reconnaissance du dissemblable). Là, il s'agit encore de s'entendre, de toujours revenir aux sens des mots, de se parler ensemble. La prose est la forme de la narration ; mais il peut y avoir du narratif dans la poésie, différemment (comme dans L'Iliade ou Gadjo-Migrandt de Patrick Beurard-Valdoye ou juste amorcé comme dans Interdiction absolue [...]). Le vers a une histoire, longue, complexe, dont je ne connais pas tout pour en faire quelque chose moi-même. Cependant je fais un travail du poème parce que ce qui m'intéresse c'est de tenter de trouver une forme au désordre du monde, au désordre des paroles. Mettre au jour les accidents dans la langue qui rendent compte du « bruit du temps » comme disait le poète russe Ossip Mandelstam. Et le poème est comme le noyau dur de l'écriture. On peut tenter là de concentrer l'expression, éviter l'inutile, le complaisant, aller au plus serré, accélérant l'énergie, dépouiller les idées reçues, dire enfin ce qu'on fait et faire ce qu'on dit. Ce que j'appelle contrevers. Se posent là les questions de l'effondrement du sujet, du monde. Le poème est aussi un exercice (au sens d'acrobaties) de lecture ; celle-ci n'est pas facile, souvent déroutée, se posent là des questions de suspension du jugement, du vertige. Cette forme boiteuse, de guingois, ni ni, mais précise (je l'espère) est mon petit moyen pour tenter de mettre au jour nos défaillances langagières, notre manque d'attention aux mots, donc aux autres, au monde.

Quel est l'élément déclencheur de votre écriture ? D'un poème ? D'un ensemble ?
C'est très variable (et je pense peu en terme d'ensemble, de projet, mon travail est un peu chaotique. Pour Autopsies, ce fut l'écoute de la musique d'Ez3kiel ; j'ai vu tout de suite des scènes, comme au cinéma, c'était très visuel, par l'écoute... et me préoccupait alors l'histoire de la guerre en ex-Yougoslavie, j'ai ainsi écrit un texte sur ce nouveau métier, en développement, sans chômage : celui de médecin légiste des charniers. Pour Interdiction absolue de toucher les filles même tombées à terre, c'était après m'être cognée plein fouet contre un poteau électrique et à hauteur de mes yeux il y avait l'inscription « interdiction absolue de toucher les fils même tombés à terre » ; j'y ai lu « fils » au sens de parenté, immédiatement ça s'est transformé en « filles », et j'ai tenté de retracer une histoire de femmes, de filles, trop souvent blessées, tombées, universelle, de filles électriques. Pour Comme quoi un mot c'est un galop, c'était l'envie d'écrire une lettre à un homme que j'ai aimé, mais comment commencer, et comment ne pas dévoiler ce qui est de l'ordre de l'intime ; j'ai essayé de danser.

Nous avons essayé de lire vos textes à voix haute, et nous avons rencontré beaucoup de difficultés. Est-ce difficile de lire ses propres textes ? De s'en imprégner ? 
Je vous remercie d'avoir essayé de lire à voix haute ces textes somme toute très mal écrits ! C'est une belle expérience de donner de la voix, du souffle, du corps à des mots. N'hésitez jamais, lorsqu'un texte s'échappe, vous ennuie un peu, vous contrarie, de lire à voix haute ; vous allez peu à peu mieux l'entendre. Il se passe toujours quelque chose, des mots apparemment insignifiants prennent force, des échos se font jour, peu à peu vous découvrez en dégustant (métier de bouche) la texture des mots, le texte. Il y en a comme ça qu'a priori je n'aimais pas trop et que j'adore après les avoir lus à haute voix vive. Si vous écrivez faites de même avec les vôtres. Tout ce qui est superflu va vous sauter à la gorge. La lecture ne pardonne rien. C'est un bon moyen de trouver un rythme, de cadencer un texte, de lui donner du corps. Mais ce n'est pas toujours facile en effet. En ce qui me concerne j'écris en parlant, dans le bruit ou le silence, mais toujours il y a des voix, du mouvement. J'écris debout, en bougeant, mes papiers épinglés aux murs et je tourne et danse autour, je ne peux écrire qu'en mettant en bouche les mots, en les provoquant, en les mettant en question par l'épreuve du corps. Aussi la plupart de mes textes ont une voix, un phrasé, chaque fois différents, qui font partie de l'écriture, disant le sens (je n'écris pas pour la scène mais j'écris avec la voix). Lire en public est une épreuve, à tous les sens du terme, mais nécessaire, un temps du doute, de l'écriture parce qu'il me semble qu'un texte n'est jamais abouti. Et c'est surtout un temps de partage, d'action, à plusieurs.

Est-ce que l'écriture a transformé votre vie ? Votre rapport au monde ?
Je ne voudrais pas tomber dans la grandiloquence, faire des effets de manche, mais oui, en effet, écrire a transformé ma vie. D'une part parce que je n'ai écrit que parce que j'ai dû arrêter un travail que je menais avec les chevaux. Je n'ai pas réfléchi, édifié un projet, je me suis mise à écrire comme on happe de l'air pour respirer. Et très vite, parce que les questions de notre rapport au langage me passionnaient, me secouaient depuis l'enfance, l'écriture est devenue une autre façon, mais toute proche, d'appréhender le monde comme lorsqu'on se trouve à cheval, c'est-à-dire décalé, en mouvement, sur le fil. C'est une expérience incertaine, qui pousse au doute, au questionnement, à la prise de décision. D'autre part c'est pour moi un travail d'archéologie, je tente de capter, sismographier tout ce qui relève des basses fréquences, ce qui est peu dit, ou peu entendu ; d'inquiéter les automatismes de la parole, de la pensée, alors oui ça bouleverse. Mais c'est plutôt mon rapport au monde qui accidente mon écriture. Et le monde de bruits et de fureurs, de belles surprises aussi, n'est pas en reste.

ENTRETIEN AVEC MATHIAS RICHARD
Par Hiktor and Vügo

Qu'est-ce qui vous a poussé à créer un nouvel univers situé à la frontière du virtuel et du réel, autrement dit, le mutantisme ? 
Qu'est-ce qui m'y a poussé  ? Tout.
Un mélange de profond désespoir (d'être coincé, enfermé, isolé, aliéné, dans une vie, un monde sans perspective) et d'enthousiasme et d'excitation, la sensation de devoir faire quelque chose, de créer quelque chose qui n'existait pas, qui me manquait, que j'aurais aimé trouver dans ce monde.
Cela a été favorisé par l'étonnante apparition d'internet et de la soudaine interconnexion de tous les cerveaux et toutes les informations de la planète.
J'ai en quelque sorte fait la synthèse de tout ce que j'avais vu, perçu, lu, vécu, souffert, désiré, et cela m'a amené à écrire peu à peu les textes du mutantisme, qui furent diffusés sur internet au fur et à mesure (à partir de 2006-2007), et cela a regroupé des gens intéressés, parfois des gens que je connaissais, le plus souvent des gens que je ne connaissais pas, en France et à l'étranger.
Cela a entraîné de nombreuses créations, rencontres, aventures, mésaventures ( !), ainsi que la publication d'un livre, Manifeste mutantiste 1.1 (2011). Un second livre, mutantisme  : PATCH 1.2 est en finalisation, et sortira d'ici quelques mois. Il pousse les choses encore plus loin, avec de nombreux nouveaux concepts et créations par 30 auteurs dont moi-même.

Quels sont les artistes qui vous ont inspiré aussi bien pour la musique que pour la littérature ? 
Il n'y a pas un artiste en particulier, mais des milliers, des dizaines de milliers (surtout en musique, ça foisonne !). Quand un artiste me marque, c'est son élan que j'essaie de retenir, plus que la spécificité de son art et/ou de sa personnalité. Je n'essaie pas d'imiter (sauf inconsciemment) une personne en particulier, je fais la synthèse de nombreuses influences pour faire mon truc à moi.
Ce n'est pas parce que j'aime un poète, un écrivain, un musicien, un cinéaste, un danseur, un artiste quel qu'il soit, que je veux chercher à faire la même chose que lui. Seul son élan (sa force d'arrachement, sa capacité à trouver une voie personnelle) est la chose qui peut m'intéresser de reprendre, de retenir pour moi-même.
Quelques noms en vrac  : Rimbaud, Lautréamont, Artaud, Bataille, The Stooges, Captain Beefheart, Sonic Youth, The Doors, la musique psychédélique, 1000 groupes de punk-hardcore avec toutes leurs façons de crier, Michel Surya, Medhi Belhaj Kacem, Proust, Sade, Guyotat, Isidore Isou et le lettrisme, le situationnisme, Mercury Rev (des débuts), Nine Inch Nails, Noir Désir, K. Dick, Lovecraft, Hocico et l'électro-industriel (Tamtrum, Psyclon Nine...), Kerouac, Burroughs, la musique indienne, l'opéra de Pékin, Abel Ferrara, Cronenberg, Claire Denis, Philippe Grandrieux, Jean-Pierre Melville, Aphex Twin, Headache, Deity Guns, Joy Division, Movietone, Crescent, le rap français et américain (surtout d'avant 2000), la techno free-party, internet (!), la scène no wave, Alan Vega, Suicide, Malicorne, Nietzsche, Deleuze, Robert Antelme, Antoine Boute, The Velvet Underground, Cannibal Corpse, Run-D.M.C., Darkthrone, Ride, Diderot, The Young Gods, The Godz, l'Association des Astronautes Autonomes, François Richard, Thierry Théolier et son «  Syndicat Du Hype  », Quickspace Supersport, John Lee Hooker, l'italo-disco, Hakim Bey, Mc Kenzie Wark, Lester Bangs, la science-fiction, plein de choses et d'artistes et de gens sur lesquels je n'ai pas ou plus de nom...
Dire quelques noms me laisse un drôle de goût dans la bouche, car cela fausse les choses, les limite  ! Ce qui nous inspire, nous influence, n'est souvent pas une personne, un artiste, mais des milliers, et c'est en constante évolution au cours de notre vie, avec différentes strates. Et même ceux que nous rejetons, sculptent quelque chose à l'intérieur de nous. Et ce ne sont pas forcément les « grands » artistes qui nous influencent le plus. Ce peut être aussi un petit groupe du quartier qui s'arrêtera la semaine prochaine, les lettres d'une fille qu'on connaît, un prof qui profite de ses cours pour faire des discours bizarres, un pote avec qui on travaille, une vendeuse de disques, un frère, etc. À mon avis, ce qu'il faut retenir, ce n'est pas un nom particulier (j'ai une méfiance envers le fétichisme, qui me semble vouloir enfermer ce qui libère), mais une ouverture toujours renouvelée aux choses, une disponibilité à rentrer dans des univers et des expériences, une capacité de déchirer quelque chose dans l'espace-temps, briser ce qui est, pour ouvrir.

Quels sont les principaux thèmes abordés dans vos textes, et pourquoi ces thèmes ?
Pas facile de vous répondre car je ne fonctionne pas vraiment par « thème », j'aime tout lier, mélanger toutes sortes d'éléments, de formes, de pensées, et j'ai toujours trouvé très scolaire d'écrire sur un « thème ». Quand j'étais au collège ou au lycée, il fallait écrire sur des thèmes, et on me le demande encore parfois dans le cadre de revues, mais dieu merci la littérature est beaucoup plus libre que cela.
Par ailleurs j'ai écrit des livres assez différents les uns des autres. Une fois que j'ai réalisé un projet, j'aime bien passer à un autre projet bien différent, c'est comme remplir un tableau noir de formes, exprimer une chose puis sa contradiction (apparente), explorer les possibilités de la vie, de la création. Du coup, cela multiplie les thèmes.
Ceci dit, j'ai été troublé par le fait que certaines personnes m'aient dit qu'elles trouvaient une unité thématique dans tous mes écrits, que ce soit dans mes textes de jeunesse (souvent inédits, ou dans des revues) ou dans mes livres les plus récents, tout cela étalé sur une durée de plus de vingt ans, période pendant laquelle mon corps a pourtant renouvelé trois fois chacune de ses cellules ! Bref, on n'est pas toujours le mieux placé pour parler de son propre travail, qui contient pour soi-même des angles morts, des points aveugles.
Si je ne devais retenir qu'un seul thème pour décrire mon travail en littérature, ce serait la description de perceptions. Adolescent, l'écriture m'est venue d'une sensation de trop-plein de perceptions. La perception de la réalité m'a semblé si débordante, intense, qu'il me fallait écrire (créer, d'une manière plus générale : j'ai aussi peint, fait de la musique, chanté, fait du théâtre... mais l'écriture est le médium que je maîtrisais le mieux), presque pour m'en débarrasser, l'exprimer, la partager (même si il y a quelque chose d'impossible dans un tel partage, puisque nous sommes des êtres seuls, séparés, mais j'ai toujours gardé cet élan d'attaquer, contourner, même brièvement, cette séparation des êtres), comme un corps conducteur traversé d'électricité.
Voici d'autres thèmes qui m'ont obsédé et reviennent souvent dans mes livres, et qui sont en fait souvent connectés les uns aux autres, et des subdivisions de ce thème principal qu'est la perception  :
- la musique (en particulier le rock, mais pas seulement  : l'impact des ondes sonores sur les corps et les consciences et la culture)
- la ville (l'environnement urbain et technologique comme nouvelle nature)
- la révolte
- l'errance, le mouvement, le déplacement
- la fête, la transe, l'intensité (recherche d'états indifférenciés)
- la recherche de vérité  : et ceci avec toutes les précautions d'emploi concernant l'usage du mot « vérité », qui est très mal vu aujourd'hui, puisque la vérité peut être considérée comme infiniment multiple et relative (un embranchement de points de vue simultanés infinis et superposés) et donc au fond une notion inopérante, d'autant plus que, par ailleurs, notre époque s'emploie avec talent à fabriquer des simulacres et des faux de toutes sortes), mais malgré tout, la littérature, la poésie, me semblent devoir tenter de dire (témoigner de) la vérité des choses et des êtres ; cela est sans doute impossible, mais cet élan, cet essai me semblent essentiel. À la recherche du temps perdu de Marcel Proust est exemplaire de cet honneur de la littérature.
- la recherche d'impacts physiques sur le lecteur ! Trouver des phrases, des dispositifs, qui impactent l'esprit du lecteur, modifient ses perceptions, font emprunter des circuits de neurones inédits à l'intérieur de son cerveau ! (Surtout dans mon travail plus spécifiquement poétique).

« Un remède dans le mouvement », tiré de votre livre Machine dans tête : est-ce que cette phrase correspond a votre manière de percevoir la poésie ?
Non, ce ne serait pas tout à fait exact de dire cela. En revanche cette expression correspond bien à la poétique spécifique du livre Machine dans tête (et dans une moindre mesure de Anaérobiose), qui est une sorte de longue phrase qui ne s'arrête jamais et rebondit tout le temps, et cette phrase décrit un voyage qui ne s'arrête jamais, et à un moment il apparaît comme une illumination que ce qui est recherché dans ce voyage n'est pas tel ou tel endroit, mais le déplacement, l'entre, et que le soulagement n'est pas d'arriver quelque part mais dans le déplacement lui-même. C'est une ode à l'errance, à l'exploration, à l'entre, au « vers ». Quand nul endroit ne semble convenir, c'est le déplacement lui-même qui devient un sanctuaire, une maison, un soulagement : un remède. Il en va de même des phrases qui constituent Machine dans tête : telle ou telle phrase pourrait être jugée inintéressante, prise séparément, mais c'est l'enchaînement de ces phrases, leur élan à toute vitesse, au présent de l'indicatif excité (comme un commentaire sportif qui va toujours plus loin !), qui produit une richesse de sens et un effet de lecture dynamique et mouvementé incarnant le voyage raconté.
Cette phrase qui ne s'arrête jamais empêche l'esprit de s'arrêter, de penser avec recul, et essaie de transformer l'expérience de la lecture en pur présent.

 

ENTRETIEN AVEC PHILIPPE JAFFEUX
Par Anaïs, Auriane, Eloïse

À quel moment avez-vous pris conscience d'écrire de la poésie ?
Lorsque je lisais dans les arbres, les nuages, les étoiles ; c’était à l’époque où je ne savais pas encore lire des lettres.

Dans vos textes, vous vous imposez beaucoup de contraintes logiques, mathématiques : quelle est l'importance du sens par rapport à ces formes très strictes ?
Paradoxalement, ce sont seulement les contraintes et les mesures qui peuvent donner une liberté à mon travail d’écriture. Les contraintes me donnent de l’énergie, elles galvanisent aussi mon inspiration.

Vous faites un énorme travail sur les lettres de l'alphabet. Pourquoi cette obsession ?
Peut-être parce que l’on peut tout oublier sauf l’Alphabet ? J’essaye aussi d’associer le plus ancien (les lettres) avec nos ordinateurs ultramodernes. Alphabet de A à M accueille, entre autres choses, une tentative de numérisation poétique de l’alphabet, si on peut dire.

L'un de vos livres s'intitule Courants blancs. Qu'est-ce que cela signifie ?
En ce moment présent, je vous dirais que l’énergie de l’alphabet que j’utilise provient avant tout de l’électricité qui est elle-même liée au vide, donc au blanc. Tout à l’heure, j’aurai peut-être une autre idée. Rien n’est définitif dans mes réponses  ; tout doit rester en mouvement, c’est ce qui m’importe le plus.

Pour quelles raisons faites-vous autant référence au silence, au divin et au rêve?
Pour essayer de basculer dans l’irrationnel, de travailler avec mon inconscient (ou mieux avec la conscience de mon inconscient). J’espère alors ne plus être dominé par la raison raisonnante, la glose et la pensée réflexive.

Les aphorismes de Courants blancs évoquent beaucoup la place de l'Homme dans le monde. Pour vous, est-il un animal comme les autres ?
Oui, pour moi l’homme est un animal comme les autres.

ENTRETIEN AVEC FRANÇOIS MATTON
Par Lilou, Elisa, Floriane, Perrine
Les élèves ont interrogé François Matton, celui-ci a répondu par des phrases que les élèves ont reformulées sous forme de vignettes, en clin d'œil à son travail.


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