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Entretien
avec Marie-Luce Ruffieux

à partir de Beige (Héros-Limite, 2009) et un extrait d'une performance, par Déborah, Aude, Neshila et Margaux

Le travail de Marie-Luce Ruffieux est fait de performances, de vidéos et d'installations qu' elle ne sépare pas de son activité d'auteure. Elle recrée un univers sous forme d’associations libres. Son style objectif nous a parfois déroutées. Nous lui avons posé des questions.

1. On constate que dans votre livre il y a un style narratif mais sans qu'il y ait une histoire, un sens. Que cherchez-vous à dire de cette manière ? Pourquoi ?

Dans ce livre (Beige), j’ai assemblé différents textes courts disparates. Ils n’ont pas été écrits les uns par rapport aux autres. C’est comme si j’avais cousu une couverture à partir de différents carrés de tissu. Il n’y avait pas de plan. Ça s’est fait de manière spontanée, presque anarchique. On m’a proposé de faire un livre et je me suis retrouvée avec tous ces carrés de tissu à juxtaposer, qu’on pourrait appeler des chapitres. J’en ai jeté certains, et j’en ai fabriqué de nouveaux pour en relier d’autres, pour faire des coutures, pour boucher les trous. L’ordre n’est donc pas du tout narratif, effectivement, et il aurait très bien pu être différent. La construction n’est pas linéaire. Elle fonctionne plutôt comme un nuage. Peut-être en trois dimensions. Le livre ne se lit donc pas forcément du début à la fin.

2. Pourquoi avoir intitulé votre livre Beige ?

Je buvais l’apéro sur une terrasse avec un ami à qui j’avais demandé de lire le texte pour avoir son avis. Il me semble que j’avais alors choisi un autre titre (j’ai maintenant oublié lequel), et mon ami le trouvait nul. J’avais des doutes mais ce dont j’étais sûre, c’est que j’avais envie d’extraire un morceau du texte pour faire titre. Nous avons parcouru tout le texte à la recherche d’un nouveau titre. C’était rigolo. Le mot beige est ressorti et nous l’avons choisi.
J’aime bien ce titre. Je trouve que c’est un joli mot. Beige est la couleur de la peau des blancs, la couleur du pelage de beaucoup d’animaux, la couleur du sable, la couleur de la crasse. Elle est omniprésente mais c’est une couleur qu’on laisse dans l’ombre. Ce n’est la couleur préférée de personne. C’est une couleur discrète, presque neutre, terne, mais qui évoque beaucoup de choses. On peut projeter beaucoup d’histoires sur elle.

3. Vous avez un style assez déroutant, comment le travaillez-vous ?

J’écris à partir d’images mentales. Je plaque du langage sur des images mentales.
Le texte que je dis dans la performance La nageoire de l’histoire est un peu particulier. J’y décris des séances d’hypnose que j’ai faites avec une médecin, ainsi que des rêves que j’ai fait pendant cette même période. Les rêves « mettent en scène » des séances d’hypnose et des performances. Différents niveaux de réalité et de consciences se superposent.

 

 


 

Pour Beige, si je me souviens bien (c’était il y a plus de six ans…), j’ai suivi des flux de pensée sans me poser de questions. C’est un mélange de souvenirs, d’observations, de choses fantasmées, imaginées, plus ou moins rêvées. Mes propres images mentales. C’est un livre assez égocentrique, très en lien avec mon enfance.
Tenter de suivre un flux de pensée peut être déroutant car on ne suit pas une route droite. Et de toute façon, c’est impossible. Les associations d’idée partent dans tous les sens beaucoup plus vite qu’un stylo, et très différemment d’un stylo. On attrape des images, des flash, avec un filet à papillons.
Actuellement, je travaille avec les images mentales et le langage d’autres personnes. Je travaille beaucoup avec des phrases trouvées. Je flotte de plus en plus à l’aide de mon ordinateur. Par exemple, j’entre des phrases ou des thèmes dans Google, et je trouve des blogs, des descriptions, des théories, des phrases, des idées qui me renvoient à d’autres choses. Je copie tout ce qui me touche. C’est très instinctif. Je pense mais je ne réfléchis pas. Ensuite, je transforme librement ce que j’ai récolté. J’écris des choses ou je trouve d’autres choses à juxtaposer. Je travaille de plus en plus avec le copier-coller. J’amasse des phrases qui me plaisent et je les imprime. Je coupe, j’étale le papier par terre et j’assemble cette masse de langage selon mon envie. Physiquement, c’est vraiment comme si je faisais un puzzle (sans modèle). Et j’invente les pièces qui manquent. Souvent, l’histoire se fabrique toute seule devant mes yeux. J’en suis la première lectrice.

4. Pourquoi ce procédé d’apprendre les textes par cœur et de donner l'impression d'improviser  pendant la performance ?

Dans mes textes, même si on ne sait jamais très bien qui parle à qui de quoi, il y a des personnages. Ce ne sont pas des personnages construits. Ils ne sont pas logiques. Ils n’ont pas d’histoire, de personnalité ou d’opinion. Mais ils existent d’une certaine manière. J’aime bien dire que ce sont « des voix dans les arbres ».
Faire des lectures d’écrivain classiques m’ennuyait. En tant que non-comédienne, j’ai donc trouvé cette solution de mal apprendre par cœur pour transmettre au spectateur un certain trouble entre personnage et narratrice, écrit et oral, maîtrise et maladresse, présentation et représentation, texte très écrit et parole improvisée.
Je me sens un peu comme une ventriloque débutante avec plusieurs poupées floues. Et j’aime l’impression comique que cela dégage. Ça m’amuse de faire ça.

5. Quand vous écrivez un texte pensez-vous déjà à l’interprétation orale  ?

Non, je ne crois pas.

Merci Déborah, Aude, Neshila et Margaux pour vos questions intéressantes !

 

 

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