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Entretien
avec Dominique Quélen

par Madeleine, Axelle, Louise, Pauline (1ère L1) et Alexandra, Léa, Théa (1ère L2)

1. Pourquoi cette idée de revisiter le dictionnaire ?
Au départ, étant poète et non lexicographe, je n’avais pas la moindre intention d’écrire un dictionnaire. Mais j’avais terminé mon livre précédent, Câble à âmes multiples, par un petit lexique de termes employés dans le livre et sur lesquels je sentais le besoin d’ajouter quelques mots. Du reste, ce volume mêlait déjà genres littéraires (descriptions, récits de rêves supposés, tombeau en vers justifiés…) et non littéraires (C.V., liste de « noms de véhicules », tableau des maladies évoquées dans les différents textes, etc.). Lyrisme et formalisme sont comme deux pôles entre lesquels j’oscille constamment, plus proche tantôt de l’un tantôt de l’autre, me sentant à la fois monstre et couillon (pour reprendre le titre d’un article fameux de Nathalie Quintane).
Bref, je me suis mis à prolonger ce texte sans dessein précis. Et de fil en aiguille le projet a pris forme en se faisant et est devenu autonome : un livre. Et puis la forme du dictionnaire me permettait de mêler un genre impersonnel, celui du dictionnaire, à un propos intime et familial (je travaillais au même moment à des poèmes qui devraient paraître l’an prochain, regroupés sous le titre de Poésie des familles). Manière enfin de prendre du recul avec ce propos, de m’en débarrasser.
Ecrire un dictionnaire nécessite de s’occuper aussi des mots ingrats à traiter, des mots dont a priori il n’y a pas grand-chose d’intéressant à dire. Cela recoupe l’idée, qui me plaît, qu’il n’y a pas de mots qui ne soient pas poétiques.
Cela m’intéresse beaucoup de faire infuser le langage administratif ou technique dans la littérature, ne serait-ce que parce qu’il nous environne (ou nous emprisonne). La fausse froideur du dictionnaire le permet. (Fausse, car il y a toujours un auteur derrière  : la lecture du Furetière, du Littré, du Larousse du XIXe, est une expérience étonnante pour un lecteur moderne  !)

2. Pourquoi avoir choisi de classer les mots en fonction de la seconde lettre du mot ?
Un dictionnaire semble être un lieu ultra-ordonné. Alors que, dans son rapport au monde, c’est le désordre total : des mots se suivent qui désignent des réalités sans rapport entre elles (au contraire de ce qui se passe avec une encyclopédie).
Mon choix, à sa manière, exprime ce désordre : à première vue, les entrées ne sont pas classées ; en fait elles sont dans un ordre rigoureux. C’est l’ordre sous le chaos. (J’ai eu un moment la tentation de classer les livres de ma bibliothèque selon ce système – mais le découragement m’a pris devant l’ampleur de la tâche !)
Le classement par la 2e lettre correspond à l’inversion qu’on trouve dans le titre.

3. Que signifie le titre Des second & premier ? Est-ce la clé du livre ?
Je voulais un titre qui demeure énigmatique  (de quoi s’agit-il ? de siècles ? d’étages ? etc.) en même temps qu’assez froid : des chiffres. Et second, surtout placé en premier, suppose qu’il n’y a pas de troisième. C’est quelque chose de clos.
Le 1er et le 2nd sont ici mon frère et moi. Mon frère, qui était mon aîné, est mort il y a longtemps, très jeune. Pourquoi les deux chiffres se trouvent intervertis, voilà précisément ce que je ne voulais pas expliciter. Il ne s’agissait pas d’étaler ma vie – qui ne présente aucun intérêt pour les lecteurs – mais de me « débarrasser » de certaines obsessions sans pour autant les exprimer directement. Le biais du dictionnaire permettait également de parler à la troisième personne, sans affect.

3. Comment avez-vous imaginé les définitions complètement décalées ? Y a-t-il une logique ?
Dans l’écriture, les définitions ont été à peu près totalement déconnectées des entrées. J’ai écrit les unes et les autres essentiellement par séries. Par exemple on peut voir dans les entrées la série des substantifs suffixés en -at, qu’ils existent ou non dans la langue.
Il n’y a donc pas de logique, en ceci que les définitions ne cherchent pas à définir les entrées, même de manière imagée, figurée. Je voulais éviter cela. C’est plutôt une logique de composition, très répétitive, avec certaines définitions qui reviennent régulièrement, comme des motifs ou des refrains (par exemple : à boire ou à manger, ou sous une pierre, etc.).
Il m’est arrivé d’associer une définition à une entrée spécifique pour qu’elle se trouve à un endroit précis, avant ou après telle ou telle autre. La démarche était alors l’inverse de ce qu’on imagine à la lecture : ayant la définition, je cherchais le terme à définir.
Je vois que le programme de MidiMinuitPoésie définit ce livre comme un « dictionnaire absurde ». Je ne sais pas. Je n’ai pas eu ce sentiment en l’écrivant, mais plutôt celui d’enfoncer toujours les mêmes clous : la question de la filiation (et donc de l’identité), la violence possible des rapports familiaux (cf. « ne pas toucher aux fils tombés à terre ».)

P.S. Avez-vous remarqué qu’il y a deux questions n°3 ?

 

 

4. Ce sont des définitions très personnelles, vous n'avez pas peur que le lecteur ne vous suive pas ?
Peur, non, mais c’est une question que je me pose à chacun de mes livres – et à laquelle je n’ai pas de réponse.
Cela dit, même un vrai dictionnaire de langue peut laisser perplexe. Je me souviens que le Larousse que je lisais dans mon enfance définissait ainsi le mot noix  : « drupe dont le péricarpe amer et astringent renferme du tanin » Définition pour moi alors parfaitement hermétique ! Au point que je l’ai glissée dans Des second & premier (à l’entrée honte).
Mon sentiment premier concernant ce livre était son illisibilité. Je vous avoue que, une fois que je l’ai eu terminé, je n’ai su trop quoi en faire. Puis j’en ai publié dans des revues des extraits que certains ont trouvés lisibles. Du coup je l’ai proposé à quelques éditeurs. Mais c’est devenu un livre sans que je sache encore vraiment ce que j’en pense.

5. A l'écriture de ces définitions, cherchiez-vous le rire du lecteur ? Qu'est-ce que vous voulez provoquer chez lui ?
Pas forcément le rire. C’est un effet obtenu avec certains de mes textes (par exemple les passages grotesques de Loque) mais pas particulièrement recherché : c’est le mouvement de l’écriture qui, dans ses détours, peut m’y porter. Les lectures publiques, qu’à une époque je ne pratiquais pas, ont dû aussi infléchir mon écriture en ce sens, de même que de collaborer avec un compositeur. (Cela dit, ce dictionnaire se prête assez peu à la lecture en public, par son côté fragmentaire et discontinu.)
Sinon le rire, du moins une indécision, et partant une inquiétude peut-être. Je me souviens de la lettre d’un éditeur me disant qu’il trouvait le texte trop angoissant. Réponse qui m’avait tout de même étonné… (Je peux le nommer, c’est Yves di Manno, pour Flammarion, qui publiera le prochain : preuve qu’il a finalement surmonté son angoisse, ou que ce manuscrit-là fait moins peur !)

6. Quel conseil de lecture donneriez-vous pour aborder votre livre ?
Comme tout dictionnaire, il est moins fait pour être lu de la première à la dernière page que feuilleté, parcouru en une lecture qui peut être aléatoire. On peut aussi se laisser porter par les renvois d’un article à l’autre. Ou ne lire que les plus longs, qui adoptent pour certains une forme narrative. Ne pas y chercher systématiquement une formule frappante ou éclairante (qu’on ne trouvera pas). Prendre cette forme comme un genre littéraire parmi d’autres.
Il existe bien d’autres dictionnaires dans la littérature, certains célèbres comme le Dictionnaire du Diable d’Ambrose Bierce ou le Dictionnaire des idées reçues de Gustave Flaubert. Cette année encore est paru un Dictionnaire de trois fois rien, de Marc-Emile Thinez, dont le propos est également de mêler l’approche lexical du langage et l’histoire familiale : définitions et exemples se rapportent au père de l’auteur. Et après que j’ai publié le mien, une amie libraire m’a fait connaître Kiwi, dont l’auteur, Ma Desheng n’a pas écrit une ligne à strictement parler mais a pris dans un « vrai » dictionnaire des entrées et des définitions qu’il a séparées pour les associer différemment.

7. Quelle est votre définition préférée ?
Une définition très brève : « Poésie – En short bilingue. Oiseau (ou autre) étêté. »

8. A la manière de Des second & premier, pouvez-vous définir "auteur" ? Merci !
Voilà justement ce qui n’est guère possible – sans quoi je pourrais continuer de rédiger ce dictionnaire ad nauseam ! Il faudrait que je sois encore dans l’élan d’écriture du livre.
La logique voudrait néanmoins qu’il soit question, dans cette entrée, du sens paternel (l’auteur de mes jours) plutôt que du sens littéraire (l’auteur de ce livre).
En voici, à défaut, les définitions prises aux dictionnaires que j’ai cités plus haut :
« AUTEUR. On doit « connaître des auteurs » ; inutile de savoir leurs noms. » (Dictionnaire des idées reçues)
« AUTEUR v.t. - Propension à la pitié, à la compassion. » (Kiwi)
« AUTEUR n. m. Vague silhouette qui se rêve en unique acteur ; pâle signature aspirant à l’indélébile. » (Dictionnaire de trois fois rien)
(Pas d’entrée « auteur » dans le Dictionnaire du Diable, seulement « auteur d’histoires fantastiques ».)

P.S. Merci pour vos questions  pertinentes !

 

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